CHIM 321 – Bases de chimie organique – Cours de Thierry Brière – Mésomérie


RAPPELS SUR LA MESOMERIE


Le phénomène de mésomérie est très important en chimie organique car il modifie sensiblement les propriétés chimiques des composés concernés.
Nous allons rappeler rapidement en quoi il consiste.
Ce phénomène à déjà été traité en détail au premier semestre.


Premier exemple : l'ion carboxylate R-COO-


Considérons l'ion méthanoate HCOO-

On peut facilement construire son schéma de Lewis :




Dans ce schéma on voit qu'une liaison CO est une liaison double et l'autre liaison CO est une liaison simple.
On prévoit donc à priori deux liaisons CO de longueurs différentes.
On peut d'ailleurs estimer leurs valeurs par les formules empiriques :
R = 0,215 n2/Z* + 0,148 n + 0,225
dAB = 1,11 (RA + RB ) - 0,203
Pour C : Z* = 3,25 et RC = 0,786 A°
Pour O : Z* = 4,55 et RO = 0,710 A°
dCO = 1,11*(0,786 + 0,710) - 0,203 = 1,458 A°
Soit finalement :
CO simple : 1,46 A°
CO double : 0,86 * 1,458 = 1,25 A°

La géométrie de l'ion méthanoate a put être déterminée expérimentalement, on constate que les deux longueurs de liaison CO sont rigoureusement identiques avec une valeur expérimentale de 1,27 A°.




Cette valeur est très proche de la longueur prévue pour une double liaison CO.
Il semblerait donc que les deux liaisons CO soient des liaisons doubles.
Cela n'est toutefois pas possible puisque le carbone, élément de la deuxième période, ne possédant que 4 cases quantiques sur sa couche de valence ne peut faire au maximum que 4 liaisons. Comme il est également lié à l'hydrogène, il ne peut donc faire deux doubles liaisons avec les atomes d'oxygène.

Pour expliquer simplement ce phénomène on utilise le modèle de la mésomérie.

Il suffit de considérer la symétrie de la molécule, les deux atomes d'oxygène n'ont aucune raison d'être différents l'un de l'autre. Or, dans le schéma de Lewis précédant non seulement ils ne feraient pas le même nombre de liaisons avec le carbone mais de plus l'un serait porteur d'une charge négative et de trois doublets électroniques libres et l'autre serait non chargé et ne posséderait que deux doublets électroniques libres.

Mais il est facile de construire un deuxième schéma de Lewis pour lequel les deux oxygènes échangent simplement leurs rôles. On passe simplement d'une forme à l'autre par déplacement de doublets électroniques.




Ces deux formes sont strictement équivalentes l'une à l'autre, on dit qu'elles ont un poids statistique identique (revoir cours du premier semestre).


La molécule réelle sera un hybride de résonance entre ces deux formes mésomères, dans cet hybride, les deux liaisons et les deux oxygènes seront strictement équivalents entre eux.
Les doublets électroniques qui se déplacent pour passer d'une forme à l'autre correspondent au fait que les électrons dans un tel système ne sont pas strictement localisés. Ils sont susceptibles de se déplacer dans la molécule, on dit qu'ils sont délocalisables. C'est cela le phénomène de mésomérie. On les représentera par des traits pointillés dans l'hybride de résonance. De même la charge électrique négative n'est pas localisée sur un des atomes d'oxygène en particulier, elle se répartit également entre les deux, on indiquera donc une charge -1/2 pour chaque oxygène dans l'hybride de résonance.





Utilisation du modèle quantique (version simplifiée) :


Si on s'en tient toujours au schéma de Lewis simple établi précédemment on peut prévoir les états d'hybridation des atomes permettant de le décrire.

Si on s'en tient à ces hypothèse on peut construire la molécule et justifier la formation des liaisons et . Soit le schéma suivant :




Cette description n'est toutefois pas satisfaisante pour les même raisons de dissymétrie, les deux oxygènes sont différents ce qui n'est pas acceptable.
Pour obtenir une description correcte nous allons utiliser deux atomes d'oxygène dans le même état d'hybridation. Puisque la molécule réelle semble posséder deux doubles liaisons nous utiliserons des oxygènes sp2 qui permettent d'obtenir les liaisons
nécessaires.
Nous allons voir que cette description justifiera simplement l'existence des deux formes mésomères précédemment décrites.

En effet, la liaison pourra se faire de deux manières différentes conduisant aux deux formes mésomères.














Ce phénomène de délocalisation des électrons des orbitales p formant des liaisons est tout à fait général et on le retrouvera à chaque fois que deux ou plusieurs atomes en état d'hybridation sp2 seront liés entre eux.

Dans les composés organiques le cas le plus courant est l'alternance de doubles et de simples liaisons. On dit alors que les doubles liaisons sont conjuguées entre elles.




Remarque :

Si un atome hybridé sp3 vient s'intercaler, la conjugaison n'existe plus et les électrons ne sont plus délocalisés


CH2=CH-CH2-CH=CH2 : sp2 - sp2 - sp3 - sp2 - sp2 : doubles liaisons non conjuguées, électrons non délocalisés.




Acide méthanoïque : HCOOH


Le schéma de Lewis de la molécule montre que la géométrie est du type AX3 autour du carbone et AX2E2 autour de l'oxygène porteur de l'atome d'hydrogène.
Enfin, on peut considérer qu'elle est du type AXE2 autour de l'autre atome d'oxygène.
On a donc des hybridations du type :




Cette molécule a été étudiée expérimentalement, les longueurs de liaison CO observées sont respectivement 1,23 A° pour C=O et 1,36 A° pour C-OH.








Comparons ces valeurs avec les valeurs estimées calculées précédemment :
C-O : 1,46 A° et C=O : 1,25 A°
Pour la double liaison, la valeur estimée et la valeur expérimentale sont en bon accord avec1,6 % d'écart seulement. 100 * (1,25 - 1,23) / 1,23 = 1,6
Pour la simple liaison, l'écart observé est de 7,5 % et l'accord est donc très mauvais.
100 * ( 1,46 - 1,36 ) / 1,36 = 7,4
Il semble que la liaison C-O est anormalement courte. Comment expliquer cela ?
Ici aussi c'est l'effet mésomère qui intervient et raccourcit cette liaison.







La forme 2 chargée a un poids statistique faible, mais dans l'hybride de résonance la liaison C-O prend un caractère de liaison partiellement double et sa longueur est donc plus courte que prévu pour une liaison simple.
Les deux formes ayant des poids statistiques très différents l'hybride de résonance reste très proche de la forme 1. Les charges partielles q portées par les deux oxygènes sont très faibles. Dans la pratique seule la longueur de la liaison simple est sensiblement raccourcie. Cela est très général, on observe très souvent ce cas de figure.
L'existence de la forme 2 justifie donc les longueurs de liaisons expérimentales, il présente en outre l'intérêt d'expliquer l'acidité des acides carboxyliques.
En effet, la densité électronique est fortement abaissée sur l'atome d'oxygène positif. L'oxygène très électronégatif va chercher à récupérer des électrons pour compenser. Il va donc se tourner vers l'hydrogène voisin pour lui prendre son électron.
La liaison
sera alors rompue et on obtiendra deux ions H+ et HCOO-.
Cette ionisation est de plus favorisée par le fait que l'ion carboxylate HCOO- obtenu est lui même fortement stabilisé par mésomèrie comme nous l'avons vu plus haut.




Dans cet exemple l'effet mésomère concerne un doublet libre de l'oxygène conjugué à une double liaison. On rencontre fréquemment ce cas de figure.




Autre cas de mésomérie fréquents :










Molécule de benzène : C6H6

Le benzène est un cas typique de molécule conjuguée.
Sa géométrie moléculaire établie expérimentalement montre que les 6 atomes de carbone sont situés aux sommets d'un hexagone régulier.
Les six atomes d'hydrogène sont dans le même plan que les carbones.
Les liaisons CC sont identiques et de longueur 1,40 A°.
Comparons cette longueur avec les longueurs prévues pour des liaison CC simples et CC doubles :
RC = 0,786 A°
dCC simple = 1.11 * 2 * 0,786 - 0,203 = 1,54 A°
dCC double = 0,86 * 1,54 = 1,33 A°

La longueur expérimentale 1,40 A° est donc intermédiaire entre simple et double liaison.







La géométrie moléculaire observée s'accorde parfaitement avec une hybridation sp2 des 6 atomes de carbone de type AX3.

On peut facilement en utilisant ce type d'hybridation construire le squelette sigma du benzène dans le modèle quantique.

Les orbitales sp2 pointant à 120° les unes des autres conduisent naturellement à la géométrie hexagonale observée.

Tous les atomes C et H seront bien situés dans un même plan.



Il restera des orbitales p non utilisées qui pourront former les doubles liaisons pi.







Les orbitales p étant toutes parallèles entre elles, on aura plusieurs possibilités de recouvrement différentes, ce qui conduira aux diverses formes mésomères.
On décrit les orbitales p comme formant un nuage électronique englobant tous les atomes de carbone, on dit qu'il y a délocalisation des électrons p.



Nuage électronique p englobant tous les atomes de carbone sp2


Représentation symbolique de la délocalisation des électrons p


Finalement on adopte une représentation symbolique de la molécule de benzène tenant compte de cette délocalisation des électrons.
On ne représentera pas les liaisons doubles comme localisées.
Elles seront figurées par un cercle à l'intérieur de l'hexagone.



Stabilisation des molécules conjuguées
Energie de résonance:

La conjugaison entraîne une stabilisation importante des molécules.
Plus une molécule possède de formes mésomères et plus celle-ci est stable.
On définit cette stabilisation par l'énergie de résonance, nous verrons en T.D des exemples de détermination de ces énergies de résonance par voix thermodynamiques.
On peut aussi les déterminer théoriquement grâce à la mécanique quantique, mais cela dépasse le niveau élémentaire de ce cours…
Prenons l'exemple du benzène pour fixer les idées.
Une façon simple d'évaluer la stabilité des molécules de ce type est de comparer leurs enthalpies d'hydrogénation.

Enthalpies d'Hydrogénation : Valeurs expérimentales :











Comparons ces valeurs entre elles.



On peut supposer que grossièrement l'hydrogénation d'une double liaison C=C doit avoir une enthalpie sensiblement constante.

Si on se base sur la valeur de 120 kJ.mol-1 pour une double liaison C=C :

L'accord semble assez correct pour le cyclohexadiène avec un écart de seulement 10 kJ.mol-1.
En revanche pour le benzène il n'en est rien et on observe un écart de 150 kJ.mol-1.

Interprétation des résultats :

Pour faire cette évaluation simple, on suppose que les doubles liaisons sont purement individuelles et parfaitement localisées.
Mais nous savons qu'il n'en est rien et qu'elles sont en réalité conjuguées entre elles.
Par conséquent, il est incorrect de dire que le cyclohexadiène réel correspond simplement à deux doubles liaisons isolées.
La valeur calculée de 2 * 120 = 240 kJ.mol-1 correspond à celle d’un cyclohexadiene hypothétique à deux doubles liaisons localisées.









L'écart observé de 10 kJ.mol-1 correspond à l'énergie de résonance des deux doubles liaisons conjuguées.


Energie de résonance du cyclohexadiene: ER = 240 – 230 = 10 kJ.mol-1

De même, le benzène réel ne correspond pas à trois doubles liaisons isolées et localisées.
La valeur calculée de 3 * 120 = 360 kJ.mol-1 correspond à celle d’un cyclohexatriene hypothétique à 3 doubles liaisons localisées.









L'écart observé de 150 kJ.mol-1 correspond à l'énergie de résonance des trois doubles liaisons conjuguées.

Energie de résonance du benzène : ER = 360 – 210 = 150 kJ.mol-1

Ces enthalpies d'hydrogénation permettent de comparer les enthalpies standard de formation des divers composés.

Exemple : Hydrogénation du cyclohexène




DRH01 = -120 kJ.mol-1 = DfH0cyclohexane - DfH0cyclohexène- DfH0H2 = DfH0cyclohexane DfH0cyclohexène

DfH0cyclohexène = DfH0cyclohexane - DRH01



Pour alléger quelques peu les écritures nous prendrons une référence arbitraire en posant que l'enthalpie standard de formation du cyclohexane est considérée comme nulle. L'enthalpie standard de formation du dihydrogène H2 est elle aussi nulle par définition.

Avec ces simplifications, l'enthalpie de la réaction d'hydrogénation est une mesure directe de l'enthalpie standard de formation du composé subissant l'hydrogénation.
On pourra donc comparer la stabilité des divers composés.





DfH0cyclohexène = DfH0cyclohexane - DRH01

DfH0cyclohexène = - DRH01 = 120 kJ.mol-1




DfH0cyclohexadiène = DfH0cyclohexane - DRH03

DfH0cyclohexadiène = - DRH03 = 240 kJ.mol-1


DfH0cyclohexadiène vrai = DfH0cyclohexane - DRH04

DfH0cyclohexadiène vrai = - DRH04 = 230 kJ.mol-1






DfH0cyclohexatriène = DfH0cyclohexane – DRH05

DfH0cyclohexatriène = - DRH05 = 360 kJ.mol-1




DfH0benzène = DfH0cyclohexane - DRH05

DfH0benzène = - DRH05 = 210 kJ.mol-1








On voit sur le diagramme la très grande stabilisation par résonance du benzène.
Le
phénomène de conjugaison stabilise très fortement la molécule de benzène, son enthalpie de formation est beaucoup plus basse que celle de la molécule hypothétique non conjuguée.
L'effet est beaucoup moins important pour la molécule de cyclohexadiene.
Ces résultats sont généraux, l'effet mésomère stabilise d'autant plus fortement les molécules que le nombre de doubles liaisons conjuguées est important.

Remarques :



Composé

Enthalpie d'hydrogénation

kJ.mol-1

Nombre de C=C

DH moyen pour 1 C=C

kJ.mol-1

CH3-CH2-CH=CH2

- 127

1

- 127

E - CH3-CH2-CH=CH2

- 115

1

- 115

Z - CH3-CH2-CH=CH2

- 119

1

- 119

CH2=CH-CH2-CH2-CH=CH2

- 253

2

- 126

CH2=CH-CH2-CH=CH2

- 254

2

- 127

cyclohexène

- 120

1

- 120




Valeur moyenne : - 122



Classement des groupes fonctionnels à effet mésomère :

On classe les groupements d’atomes (groupe fonctionnels) possédant un effet mésomère en deux catégories :

Groupes à effet mésomère donneur + M : ce sont généralement des groupes « riches en électrons » comportant un atome possesseur d’un doublet libre.

















chloro

fluoro

alcool

ether

amine

alcoolate





Groupes à effet mésomère accepteur - M : ce sont généralement des groupes « pauvres en électrons » comportant une ou plusieurs doubles liaisons ou atome sp2 ou cases quantiques vides.





amide

ester

cétone

aldéhyde

nitrile

sulfonique

nitro



Ces divers groupements seront étudiés en détail ultérieurement.

Exemples de modification des propriétés chimique par mésomérie

Modification des propriétés acidobasiques :

Exemple de l'aniline : Le pKa de l'aniline est pKa = 4,6 à comparer avec l'ammoniaque NH3(aq) dont le pKa est de 9,2.

















Stabilisation d'intermédiaires réactionnels :

Les carbocations et les carbanions peuvent être fortement stabilisés par mésomérie.
La mésomérie permet de répartir la charge sur plusieurs atomes ce qui stabilise grandement la structure.

Carbocation benzylique













Carbocation allylique







Carbanion nitrométhane











Effet d'activation et d'orientation de réactions chimiques :

L'effet mésomère en déplaçant les charges électriques a l'intérieur d'une molécule peut orienter une réaction chimique sur un site particulier. Il peut rendre un site plus réactif, ou inversement inactiver celui-ci.

Exemple réaction de substitution nucléophyle aromatique :






Dans ce type de réaction, un nucléophyle Y+ vient se fixer sur le noyau benzénique en remplaçant un hydrogène expulsé sous forme de proton H+.
On constate qu'avec un groupement X électrodonneur (effet +M), la réaction est assez rapide et que la substitution se fait préfferentiellement en positions ortho et para.
Inversement, avec un groupement X électroattracteur (effet -M), la réaction est très lente et la substitution se fait préfferentiellement en position méta.
Cela s'explique par les effets mésomères des groupement X :



un groupe X électrodonneur enrichit le noyau aromatique en électrons en faisant apparaître des charges négatives sur les positions ortho et para. Cela oriente la substitution sur ses positions privilégiées et facilite celle-ci.




cycle enrichi ortho para privilégiés



un groupe X électroattracteur apauvrit le noyau aromatique en électrons en faisant apparaître des charges positives sur les positions ortho et para. Cela rend la réaction très difficile et l'oriente plutôt sur les positions méta non apauvries en électrons.










cycle apauvri et méta privilégié